Les axes de recherche
L’ambition scientifique de cette nouvelle entité peut être synthétisée par la volonté de créer une structure transdisciplinaire d’étude de la santé orale. Nos expertises reconnues sont à l’origine de projets de recherche allant des aspects les plus fondamentaux à la clinique en favorisant les aspects sociétaux et psycho-sociaux. Ceci s’inscrit dans une démarche volontariste pour des actions de valorisation et de transfert afin de donner réellement corps au triptyque Formation - Recherche - Valorisation.
Dans notre unité, nous avons décidé d’aborder trois axes de recherches :
1 - La cavité buccale : marqueur de notre évolution biologique et socio-culturelle ?
2 - Occlusion dentaire : acteur sur notre évolution et notre santé ?
3 - L’analyse des pratiques en santé
AXE 1-La cavité buccale : marqueur de notre évolution biologique et socio-culturelle ?
La cavité buccale est l’exemple d’un système biologique particulièrement marqué par les changements majeurs qui ont caractérisé les dernières étapes de l’évolution humaine. En effet, la cavité buccale est un système ouvert très sensible aux changements ce qui nécessite une grande plasticité adaptative. D’un point de vue macro-évolutif, on peut ainsi évoquer les grandes modifications des contraintes anatomiques sur cette cavité engendrées par la transition vers la bipédie (l’évolution de la locomotion) ou la restructuration du volume cérébral. Au niveau micro-évolutif, le changement d’alimentation au néolithique (passage à l’agriculture) et d’écosystème (peuplement de la terre par Homo sapiens) a modifié de façon majeure les contraintes (bio)chimiques mais aussi (bio)mécaniques de la cavité orale. Afin, plus récemment, la cavité buccale a subi les modifications des pratiques culturelles au cours des derniers siècles comme par exemple le fait de fumer ou une augmentation de la consommation de sucres qui vont être à l’origine de « mal-adaptation » et donc de pathologies. Notre projet est donc d’utiliser la cavité buccale comme un marqueur des adaptations passés, présentes et avenirs de notre évolution biologique et socioculturelle. Ce projet repose sur la prise en compte de la diversité génétique et physiologique des populations humaines ainsi que de la variabilité des modes de vie.
Notre projet interdisciplinaire composé de compétences en anthropologie, biochimie, génétique et bio-informatique vise à étudier les maladies du point de vue biologique et médical en combinant les données de la biologie évolutive et de l’histoire du peuplement. Dans ce contexte, notre intérêt porte sur deux thèmes principaux :
1- Homéostasie : La cavité orale est également un système ouvert complexe avec un ensemble de différents tissus soumis à différentes contraintes ainsi qu’à différents apports externes avec un impact sur l’équilibre de son homéostasie. Le microbiome associé à cette cavité constitue également un écosystème qui a coévolué avec son hôte. Nous nous focaliserons sur les réponses biochimiques (stress oxydatifs, etc.) des cellules humaines buccales exposées à divers agents xénobiotiques issus de diverses pratiques (alimentation, traitements buccodentaires, etc.). Nous nous focaliserons aussi sur les coévolutions entre la diversité génomique du microbiome buccal et le génome de l’hôte. Dans ces objectifs, nous étudierons, entre autres, la population de Madagascar qui se distribue sur une variété d’environnements et qui a la particularité d’être issue de la fusion ancienne de populations venant du sud-est Asiatique, d’Afrique et de Eurasie de l’ouest. Ainsi, cet aspect constitue un modèle pour l’incompatibilité entre génome et microbiome très diversifié.
2- Coévolution gènes & culture : La bouche occupe une place centrale dans nos comportements quotidiens tant liés aux plaisirs des sens (alimentation, cigarettes, baisers) qu’à la communication verbale mais aussi non verbale (mimique). C’est aussi un marqueur social (dentition, hygiène, dent en or) voir un instrument de séduction (rouge à lèvre). La santé buccale est donc influencée et influence de multiples facteurs culturels. Nous nous focaliserons sur les interactions entre la diversité de perceptions des aliments (hédonisme alimentaire), les comportements alimentaires et la santé orale. En effet, notre passé évolutif a sélectionné notre génome pour exercer aujourd’hui une forte appétence aux aliments sucrés, salé et gras, mais cette appétence est devenue morbide lors du dernier siècle (carries, obésité). Nous cherchons donc à identifier des déterminants génétiques de cette mal-adaptation sensorielle et à comprendre les causes et conséquences de cette évolution. Ainsi, nous étudions comment la diversité génomique humaine va influencer les pratiques alimentaires et bucco-dentaires et comment ces pratiques influencent la santé orale.
Ce projet repose sur d’importants réseaux de collaborations, notamment dans l’Océan Indien. Pour cette région, une base de données unique a été constituée et inclut des données de linguistique, des informations sur les interactions socio-écologiques et des données d’épidémiologie moléculaire.
A terme, ce projet devrait permettre de mieux comprendre le fonctionnement et la physiopathologie de la cavité orale. Et d’un point de vue sociétal, ce projet devrait permettre une plus ample compréhension de l’histoire de la diversité humaine et proposer une médecine orale personnalisée pour chaque individu en fonction de ses pratiques culturelles et de son passé évolutif (inscrit dans son génome).
AXE 2- Occlusion dentaire : acteur sur notre évolution et notre santé ?
Le deuxième axe de notre projet de recherche concerne l’occlusion dentaire et plus particulièrement l’influence de l’occlusion dentaire sur notre évolution et notre santé. Nous comptons étudier par une approche évolutive les relations entre occlusion et posture. En effet, s’il a été déjà montré qu’il existait une relation entre l’occlusion dentaire et l’équilibre général postural d’un individu, l’importance de ce rôle reste à préciser. Ainsi par une approche de macro-évolution en essayant de comprendre les relations entre les positions mandibulaires passées et la posture mais aussi par une approche de micro-évolution en étudiant les mêmes paramètres dans différentes populations, nous étudierons le rôle qu’a l’occlusion sur la posture dans des conditions normales et pathologiques afin qu’à terme nous puissions optimiser la posture par des modifications occlusales.
Comprendre les positions mandibulaires comme des résultantes anthropologiques macro-évolutives, liée à la bascule du bassin, au redressement du rachis, à l’acquisition de la bipédie, à la libération de la main, à l’enroulement de l’encéphale au-dessus du massif maxillo-facial, c’est inscrire le recul mandibulaire et les modifications de l’occlusion humaine dans une perspective évolutive occluso-posturale.
Comprendre le rôle de l’occlusion sur la physiologie et la psyché des individus actuels, c’est inscrire ce paramètre de la santé orale dans le cadre plus général de médecine intégrative. Dans notre projet nous essayerons de répondre à plusieurs questions : Cette évolution est-elle toujours en cours ? La biomécanique et la cinématique mandibulaire sont-elles des marqueurs de la posture cervico-céphalique, voire de la posture globale au même titre que d’autres capteurs comme la vision, la pression podale, l’oreille interne, la visco-élasticité de la peau ? Quels sont les liens existants entre l’occlusion et la régulation posturale globale d’un individu ? Les modifications occlusales d’un individu peuvent-elles dégrader ses performances posturales ? Peuvent-elles les améliorer ? Qu’en est-il du cas particulier des sportifs de haut niveau qui utilisent leur corps à un très haut degré de performance, et parfois jusqu’à la rupture ?
Cette étude de la fonction occlusale sera complétée par une approche clinique par l’étude des désordres temporo-mandibulaires (DTM) qui touchent environ 10 % de la population française et qui sont des pathologies complexes, multiformes, poly-étiologiques à fort impact sur la qualité de vie des patients : douleurs oro-cervico-faciales avec incidences posturales et psycho-sociales élevées. Nous procéderons à une évaluation d’un continuum phénotypique de caractéristiques, de l’échelle moléculaire et génétique, biomécanique occlusale, posturale, psychologique, ergonomique, jusqu’au niveau socio-culturel. Ce sera donc une approche thérapeutique combinée : généticiens, occlusodontologistes, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, podologues, psychologues, ethnologues.
Les difficultés actuelles dans la pratique des désordres temporo-mandibulaires (DTM) sont les suivantes : un diagnostic complexe du fait de la multitude des paramètres à évaluer, des traitements stéréotypés en première intention, des sous-catégories phénotypiques mal déterminées et à l’heure actuelle peu informatives du pronostic du patient. Comment gérer toutes ces données ? L’Evidence based Medicine (médecine fondée sur les preuves) a permis un changement de paradigme au début des années 1990. Aujourd’hui, le monde s’apprête à en connaître un autre encore plus important et c’est celui du « Data Mining » ou collection massive de données multiéchelle. L’utilisation conjointe de « Maching learning » permettra grâce au monitoring pratiquement en temps réel de comprendre les cohortes des patients en cours de traitement et de pouvoir proposer des traitements réellement personnalisés avec des pronostics réellement personnalisés. C’est le sens d’un projet actuellement en cours entre la Faculté d’Odontologie de Toulouse et l’Ecole polytechnique de Montréal et baptisé Intelligence artificielle et dysfonctions de l’appareil manducateur. Enfin l’ensemble de ces études Occlusion/posture & DTM font émerger une dernière thématique que nous allons développer : l’hybridation à travers la modification oro-faciale.
Parallèlement à ce projet, la modification de l’occlusion par Orthèse d’Avancée Mandibulaire (OAM) sera étudiée dans les syndromes d’apnées / hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS). En effet, le positionnement de la mandibule en propulsion pendant le sommeil permet de libérer les voies aériennes supérieures, principal site obstructif du SAHOS. Cependant la titration des OAM se base sur des données cliniques inconstantes qui posent problème au clinicien et conduisent régulièrement à des surtraitements par avancée exagérée avec apparition d’effets secondaires dento-musculo-articulaires à moyen et long terme. Dans ce projet nous comptons mettre au point un dispositif médical de santé connectée avec utilisation d’objets du quotidien (smartphone, ceinture cardiofréquencemètre). A terme, ce projet a pour but de conduire au développement d’une application à l’usage des professionnels (chirurgiens-dentistes, pneumologues, ORL, chirurgiens maxillo-faciaux, …) pour l’aide à la titration des OAM entraînant un changement des pratiques. Il pourra aussi constituer un outil d’alerte à l’usage des patients dans le suivi de leur apnée du sommeil traitée par OAM et être utilisé dans un but de motivation et d’amélioration de l’observance. D’autre part, le traitement des apnées par OAM produit une avancée mandibulaire durant toute la durée du sommeil, ce qui n’est pas nécessaire, car le dispositif doit opérer uniquement lors des apnées. Un patient pouvant bénéficier d’une OAM fait en moyenne 20 apnées de 30 secondes par heure de nuit sur une nuit de 8 heures, soit un temps cumulé de 1 heure et 20 minutes, soit 17% du temps de sommeil. Dans notre projet nous avons pour objectif de concevoir un dispositif type OAM qui soit actif, c’est-à-dire capable de déclencher une avancée mandibulaire uniquement en cas de détection d’apnée.
A terme, l’ensemble de cette étude devrait nous permettre de proposer une meilleure aide au diagnostic et surtout à proposer un traitement personnalisé des DTM. Et de façon complémentaire au premier axe, cette approche devrait nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement, l’histoire évolutive et la physiopathologie de la cavité orale.
AXE 3- Analyse des pratiques
Dans ce troisième axe, il s’agit d’interroger les pratiques et de les penser par anticipation. La reconnaissance de la recherche en éthique médicale est un fait établi dans de nombreux pays européens et anglo-saxons, en particulier en Amérique du Nord, où des centres de recherche en éthique médicale font pleinement partie du paysage de recherche universitaire. La spécificité envisagée de cette troisième thématique est de développer des travaux de recherche fondés sur l’évaluation des pratiques médicales de soins et de recherche. Ces travaux permettent par la suite une analyse critique visant à promouvoir de nouvelles connaissances. Ces recherches ont souligné à de multiples reprises la pertinence d’une collaboration des collègues de sciences sociales et de philosophie en synergie avec les soignants. Différentes pistes de réflexion sont exposées en suivant, de façon ouverte et non-exhaustive.
Un premier volet de recherche concerne l’articulation et les éventuels conflits entre normes et décision, qu’elle soit à prendre ou qu’elle ait été prise. Les recherches porteront principalement sur les concepts-clés de la pratique et de la décision médicale (information, consentement, secret, responsabilité, autonomie, etc.) : la mise en œuvre des normes, l’adéquation des normes en vigueur aux pratiques nouvelles, les prises de décision dans des situations complexes, les questions d’éthique professionnelle.
Un deuxième volet concerne l’impact des techniques médicales sur les personnes, sur la vie sociale et sur les règles qui les organisent. Les recherches porteront principalement sur les transformations des conceptions de l’humain, des notions de santé et de normalité.
Un troisième volet porte sur l’évolution de la relation soignants-soignés et des droits des patients. Ce thème a pour finalité d’étudier comment les prises de décisions et les responsabilités sont modifiées en situations de maladie et de vulnérabilité psycho-sociale.
Une forte volonté de politique d’animation repose sur plusieurs actions, à commencer par des séminaires de recherche réguliers. Cette politique s’appuie sur d’étroites collaborations, issues des années de fréquentation du Laboratoire d’Ethique Médicale et de Médecine Légale de l’Université Paris 5 (2002-2017) poursuivies aujourd’hui en particulier avec la Société Française et Francophone d’Ethique Médicale (Sffem) ou l’Institut International de Recherche en Ethique Biomédicale (IIREB).